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Flex office : source de bien-être ou cadeau empoisonné ?

On le retrouve autant sur sa chaise de bureau, qu’à la terrasse d’un café ou sur son canapé… Qui est-ce ? Le salarié moderne ! Accompagné de son fidèle ordinateur et de son smartphone, c’est un nomade qui change d’espace de travail comme la reine d’Angleterre change de chapeau. On dit qu’il travaille en “flex office”, ou littéralement “bureau flexible” en français. Dans son entreprise, pas de poste de travail attitré, les bureaux sont partagés, chacun va-et-vient comme il le souhaite et s’installe où il le désire, si tant est que la place désirée ne soit pas occupée. Ce mode de travail fait son petit bonhomme de chemin dans les entreprises françaises depuis le début des années 2010. Lentement, mais sûrement. Selon une étude Parella/Esquisse, 22,5% des entreprises franciliennes du tertiaire l’avaient mis en place en 2018. Mais, aujourd’hui, avec la pandémie de Covid-19, son adoption est envisagée plus largement, notamment par certains grands groupes comme moyen de diminuer les risques de propagation du virus mais aussi, et surtout, de faire des économies conséquentes sur leurs dépenses immobilières… Mais comment le vivent les salariés ? Décryptage

Le flex office, qu’est-ce que c’est ?

Le flex office est l’absence d’attribution d’un poste de travail précis à un salarié. Celui-ci peut ainsi travailler depuis l’espace le plus adapté à sa mission : un bureau libre dans sa propre entreprise, un espace de réunion, une salle de coworking, un café, de chez lui, etc. La notion est à distinguer du desk sharing, phénomène qui induit que les salariés n’ont plus de bureaux attribués au sein même de l’entreprise. Fini l’open-space “poulailler” et le grand bureau du chef au fond du couloir, donc.
D’après Claire Riondel, Directrice de la communication chez BAP – un groupe qui réinvente le travail et crée des espaces de coworking -, cette tendance est née d’un triple constat :

  • Entre les missions hors des bureaux, les vacances, les RTT, les arrêts maladiesles bureaux ont de l’espace inutilisé, et pour une entreprise chaque mètre carré a un coût. Surtout en temps de crise. D’ailleurs, la Société Générale serait sur le point d’abandonner un immeuble entier dans le quartier de la Défense grâce au flex office.
  • La révolution digitale permet à chacun d’accéder à ses outils de travail partout et à toute heure.
  • Les salariés sont de plus en plus attachés au confort de travail. Ils cherchent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et veulent s’extraire des contraintes des horaires et des trajets domicile-travail interminables.

De quoi remettre en cause les codes de l’aménagement traditionnel : « Nous pensons que c’est la fin du bureau en tant qu’espace physique. Les mètres carrés qui étaient dédiés à des usages classiques auront de nouvelles fonctions : l’humanisation, la collaboration et la créativité. Le bureau va se décentraliser et les salariés se retrouveront dans des lieux éphémères qui seront le socle de l’expérience de travail de demain. » explique Florian Delifer, CEO d’OfficeRiders(un market place de réservation d’espaces de travail, ndlr).

Flex office : le pour et le contre

Les « pour »

  • Être plus productif et créatif. L’autonomie du flex office permet de s’installer dans l’endroit le plus adapté à la tâche du moment. Manon, consultante chez Lecko, alterne ainsi entre différents espaces : « J’aime organiser mes rendez-vous professionnels dans un café où je suis plus détendue et créative. En revanche, si j’ai un travail complexe à faire, je reste chez moi où je suis beaucoup plus concentrée. Au bureau, je prends du temps pour échanger avec mes collègues et avancer sur nos projets. »
  • Réduire le temps de transport. D’après une étude de l’institut de l’aménagement et de l’urbanisme, le temps de transport moyen en région parisienne pour se rendre et rentrer du travail est en moyenne de 1h24… C’est très long ! Surtout quand on sait, d’après le baromètre Paris Workplace 2018 de l’Ifop, que l’envie de quitter son entreprise augmente à mesure que son trajet s’allonge.
  • Casser la routine. Chiguecky, consultante chez Lecko, valorise la liberté et l’autonomie que permet le flex office : « Je ne m’installe pas deux jours de suite au même endroit, cela change le rythme de ma semaine et rompt la routine qui pourrait s’installer. Et c’est surtout l’occasion de discuter avec des personnes différentes chaque jour. »
  • Nouer des liens. En travaillant à l’extérieur, il est possible de rencontrer et s’enrichir de personnes de secteurs différents. Mais en s’asseyant à différents postes de travail, on peut aussi mieux comprendre les différents métiers de sa propre entreprise : « Qu’un développeur et un commercial travaillent l’un à côté de l’autre est une réelle valeur ajoutée. Chacun apprend de l’autre. », explique Florian Delifer.
  • Le décloisonnement de l’esprit accompagne celui des espaces de travail.Start-up et grands groupes rivalisent d’imagination pour inventer des lieux qui facilitent la collaboration, la productivité et la créativité. Le flex office, c’est avant tout plus de liberté, plus d’autonomie… et un nouveau mode de management basé sur la confiance plutôt que sur le contrôle. Une révolution dans la révolution.
  • Plus de propreté et d’hygiène. Fini les piles de dossiers qui s’entassent, les restes de déjeuner sur le pouce de la veille et les mouchoirs usagés laissés sur un coin de bureau ! Les postes de travail n’étant pas attitrés, les employés en flex office doivent impérativement les nettoyer après leur passage pour que la prochaine personne qui s’y installe se sente à l’aise. C’est la règle. Un argument de poids en faveur du flex office en période de pandémie.

Les « contre »

  • Nécessité d’être très organisé. Vérifier les horaires d’ouverture d’un espace de coworking, appeler pour s’assurer que le Wi-Fi du café fonctionne correctement, pester en se rendant compte que les seules places restantes du bureau sont à côté du radiateur cassé… le quotidien lorsqu’on n’a pas de bureau attitré.
  • Un bureau impersonnel. Oubliez la photo de mamie au coin du bureau ou le pot à crayon en pâte à sel façonné par le petit frère, car le flex office suppose de ne laisser aucune trace derrière soi. On peut être perturbé de ne plus avoir son espace à soi au bureau. À la fin de la journée, le travailleur nomade doit laisser ses affaires dans un casier ou repartir avec.
  • Difficulté à garder le contact. Le vrai challenge des entreprises qui favorisent les pratiques nomades est de développer des outils de communication permettant à chacun de leurs salariés de communiquer avec leurs collègues, de suivre l’avancement d’un projet et de participer à la vie quotidienne de l’entreprise même les jours où ils ne sont pas présents physiquement au bureau. Avoir une mauvaise connexion internet, un ordi qui rame, ne pas avoir le bon logiciel pour ouvrir un document que notre collègue nous a envoyé… Si l’entreprise n’investit pas assez dans la mise en place d’outils adaptés, cela peut impacter la productivité ainsi que la communication entre collègues. Mais même si les outils de communication sont parfaitement optimisés, être hyper connecté peut être source d’isolement, et abîmer le lien social, d’où la nécessité d’un management tourné vers le bien-être des salariés.
  • Les collègues irrespectueux. Ces collègues qui ne respectent pas les règles du flex office en faisant d’un bureau le leur, ou qui s’assoient tout le temps avec les mêmes personnes… et leurs gardent leurs places ! Cela empêche les personnes de s’installer près de leurs collègues, ce qui impacte le travail en groupe, et les nouveaux dans l’entreprise profitent moins du brassage entre les différents employés que permet théoriquement le flex office, ils peuvent même se sentir mis à l’écart.
  • La galère du flex desk. Quand des entreprises mettent à disposition moins de postes de travail qu’il y a d’employés, on parle de flex desk. Ce dispositif peut être source de problèmes d’organisation, générer des conflits entre collègues pour obtenir une place… Bref, mal organisé, le flex desk peut vite virer au cauchemar et impacter négativement le moral des salariés. C’est la course pour avoir une place, comme dans un train en surbooking. Une charge mentale supplémentaire pour tous ceux qui doivent jouer aux chaises musicales.

Flex office, bureau du futur ?

Le flex office a ses qualités, et son lot de complications. Pour les éviter, le meilleur moyen pour les entreprises est de mettre en place un management à l’écoute des salariés, de leurs envies, besoins et contraintes.

Les entreprises qui passent en flex office seulement pour des considérations financières, sans mettre en place un management adapté, risquent de se retrouver avec des employés mécontents ou malheureux. C’est une réalité connue depuis quelques années déjà. En 2009, le site Alcatel-Lucent de Vélizy était passé en flex office. Et en 2003, Stéphane Dubled, élu CGT du site, témoignait dans les colonnes du Monde : « Les flex offices […] ont été très mal vécus. Il fallait faire des économies de mètres carrés pour accueillir les salariés d’Alcatel International. » Pour lui le flex office était « ressenti comme une économie de bouts de chandelle réalisée sur le dos des salariés. »

D’après le Baromètre de la relation entre l’environnement de travail et le bien être des salariés de CD&B et OpinionWay, 68% des sondés se déclaraient d’ailleurs contre le flex office en 2017. Une des raisons avancées était « la déshumanisation du lieu de travail, et le sentiment d’être interchangeable. » Le flex office va-t-il donc, dans la lignée de son prédécesseur l’open space, créer des espaces de travail impersonnels et sans intimité où l’on se retrouvera collés les uns aux autres sur des longues tables vides ? Ou bien, est-il le mode de travail du futur qui permettra aux entreprises d’allouer plus d’espaces à la convivialité et au partage entre collaborateurs, et aux salariés d’améliorer leur équilibre vie pro-vie perso ? Il est important de souligner que, même si la mise en place du flex office a l’air d’être en marche certaines entreprises en reviennent. C’est par exemple le cas de l’entreprise ekWateur qui a décidé de ne plus faire de flex office pour éviter ce qu’ils nomment “l’effet cantine” où, comme en primaire, chacun se bat pour s’asseoir à la place de son choix, de préférence à côté de ses meilleurs potes.

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